« Perpendiculaire au soleil », Valentine Cuny-Le Callet & Renaldo McGrith

Le titre Perpendiculaire au soleil heurte le bon sens à la manière d’un oxymore tant le croisement d’un élément naturel avec une donnée géométrique est inattendu. En d’autres termes, l’imposant roman graphique à quatre mains de Valentine Cuny-Le Callet et Renaldo McGrith a de quoi susciter la curiosité, et pour cause. Récit véridique d’un échange épistolaire entre une jeune femme française et un afro-américain qui se trouve dans les couloirs de la mort, Perpendiculaire au soleil est une œuvre pleine d’ambition. D’une part, on y voit comment des êtres qui semblent si différents à première vue retrouvent une humanité commune à travers leurs échanges de lettres et leur amour du dessin. D’autre part, l’œuvre rend compte de ce qu’est la vie dans une cellule, de la difficulté que cela représente de trouver des raisons de vivre, à plus forte raison quand on n’est pas destiné à en sortir vivant. Enfin, le roman dénonce de manière tacite l’absurde bureaucratie du système carcéral et la froide cruauté d’un système judiciaire qui condamne des hommes et des femmes à dépérir.

Issue d’un milieu relativement aisé de la banlieue parisienne et fermement opposée à la peine de mort, Valentine, jeune femme tout juste âgée de dix-neuf ans, entreprend une correspondance avec Renaldo McGrith. Tout les oppose en apparence, leur couleur de peau, leur nationalité et leur destin. Tandis que Valentine étudie l’art en France dans le but de devenir dessinatrice de presse, le temps semble s’être arrêté pour Renaldo. Condamné à la peine capitale pour le meurtre d’une mère de famille, cela fait dix ans que dans une prison de Floride, il étudie tous les moyens possibles de prouver son innocence. Une amitié aussi forte qu’inattendue naît entre eux.

Embrasser le monde

De même que Béatrice veut sauver Dante de l’Enfer, de même Valentine souhaite sauver Renaldo, mais tandis que la première conduit le poète vers le salut, la seconde empêche le prisonnier de sombrer dans le désespoir. Pour ce faire, elle veut lui donner à voir le monde à travers elle. Aussi, ses lettres ont une dimension encyclopédique. A l’aide de mots et de dessins, elle veut lui créer une fenêtre vers l’extérieur. Elle puise abondamment dans sa culture littéraire, artistique et historique pour rendre compte de sa manière de voir le monde.

La chronologie du récit est entrecoupée de digressions et de parenthèses obligeant le lecteur à suivre le cheminement de la pensée de Valentine comme il le ferait s’il lisait ses lettres. En outre, l’autrice tient à tout expliquer au lecteur. Le moindre élément historique, culturel ou juridique propre aux États-Unis est clarifié. Ce désir de transparence peut par moment créer de la frustration chez le lecteur pour qui ces nombreuses parenthèses sont finalement une défiance envers sa curiosité.

Une œuvre engagée ?

Malgré les thématiques abordées, Perpendiculaire au soleil n’est pas à proprement parler une œuvre politique. L’autrice ne se sert pas de la bande dessinée comme d’un manifeste contre la prison ou contre la peine de mort, même si son opposition à ces châtiments est sans ambiguïté. Alors qu’on s’attendrait à des passages lyriques voire pathétiques à la manière du Dernier jour d’un condamné à mort, Perpendiculaire au soleil dégage au contraire une certaine pudeur qui peut faire penser à de la froideur à première vue. Les émotions ne sont pas véhiculées par les mots choisis par l’autrice mais par les situations qu’elle décide de représenter. Le contraste entre les arabesques que Valentine dessine et l’univers géométrique où végète Renaldo est glaçant pour le lecteur qui peine à imaginer ce que c’est que ne pas sentir la chaleur du soleil, la douceur du vent ou la fraîcheur de l’herbe. En donnant à voir au lecteur le monde du dedans, le roman permet à Renaldo de sortir physiquement de sa prison et d’exister dans le monde.

Perpendiculaire au soleil ne permet pas au lecteur de commencer immédiatement une autre lecture une fois le roman refermé. Le roman nous colle à la peau pour plusieurs raisons. D’une part, ce n’est pas un récit avec un début, des péripéties et une fin. Nous ignorons si Renaldo McGrith sera exécuté ou non. Refermer le livre ne met pas fin à l’histoire puisque nous savons pertinemment qu’en ce moment même, il est dans sa cellule et qu’il attend une seconde sentence. Qu’il y ait dans notre temporalité ordinaire, un espace hors du temps où les heures s’écoulent plus lentement est perturbant. Au-delà de la situation particulière de Renaldo McGrith, le roman nous pousse à nous interroger sur le sens de la prison. Condamner des hommes et des femmes à de lourdes peines de prison est-ce une manière de les punir ? De se protéger en tant que société contre des personnes qui ont transgressé le contrat social ? Ou est-ce tout simplement un moyen d’enfouir un problème dans un lieu hors du temps pour penser à autre chose en se disant que les personnes condamnées n’ont pas la même sensibilité que nous et qu’elles méritent ce qui leur arrive.

>> « Perpendiculaire au soleil », Valentine Cuny-Le Callet & Renaldo McGrith – Edition Delcourt

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