L’alliance de la communication politique et de la communication digitale

Si la semaine dernière quelqu’un m’avait dit que j’écrirais un article pour louer la communication du président de la République, non seulement je ne l’aurais pas cru mais en plus je lui aurais ri au nez. Pourtant, il faut bien le reconnaître, avoir eu recours aux youtubeurs Mcfly et Carlito pour sensibiliser au respect des gestes barrières est un coup de communication inattendu et terriblement efficace.

Un problème de taille

La pandémie du Covid 19 dure depuis un an. Tout le monde a bien compris ce que sont les gestes barrières ; nul n’ignore qu’il faut se laver les mains régulièrement, respecter la distanciation sociale et changer de masques toutes les quatre heures. Le message a été tellement répété, illustré, placardé partout qu’il devient difficile de communiquer sur ce sujet. Où trouver des mots nouveaux et des images nouvelles quand le sujet est épuisé ? Pourtant, la crise sanitaire est loin d’être finie.

Les gestes barrières

S’il y a encore des contaminations, c’est entre autres parce que les gestes barrières ne sont pas respectés avec assez de rigueur. Certains, par exemple, portent le masque uniquement pour éviter les amendes. Cela signifie qu’ils le portent mal, qu’ils le portent trop longtemps ou qu’ils n’hésitent pas à l’enlever quand ils retrouvent leurs amis.

Au bout d’un an, la peur de tomber malade est moins présente. Le sentiment de culpabilité qu’on pouvait avoir envers les soignants ou nos aînés s’est aussi atténué alors même qu’il était très fort lors du premier confinement. Pourtant, une question demeure. Comment faire pour que chacun respecte les gestes barrières et adopte une attitude plus responsable maintenant que tout le monde en assez de faire attention ?

S’adapter au nouveau monde

A cette question, l’équipe de communication a trouvé une solution. Pourquoi ne pas demander à des youtubeurs connus de relayer le massage ? Un même message, délivré par certains relais d’opinion peut avoir un impact beaucoup plus important. D’ailleurs, les collaboration entre des marques et des influenceurs sur les réseaux sociaux sont désormais monnaie courante.

Ce qui est vrai en marketing l’est aussi dans le monde politique. Nombre de personnalités politiques ont commencé à utiliser ces nouveaux canaux de communication à leurs risques et périls. Celui qui est passé maître en la matière est évidemment Jean-Luc Mélenchon. En plus de tenir un blog, le président de la France Insoumise a également une chaîne Youtube, une chaîne Twitch, un compte Tik Tok, etc. Les vidéos de Marlène Schiappa sur Tik Tok et Instagram ont également marqué les esprits à cause de leur maladresse voire des polémiques qu’elles ont fait naître.

Une chose est sûre, des politiques se rendent bien compte qu’ils ne peuvent plus se contenter de communiquer comme avant. Désormais, les réseaux sociaux occupent une place trop importante dans le quotidien des citoyens pour qu’ils n’essaient de s’y faire connaître. Cela est d’autant plus vrai avec la crise sanitaire qui a obligé les partis politiques à digitaliser leur communication, notamment pour la campagne des municipales. Si mal communiquer sur les réseaux sociaux occasionne des erreurs, ne pas les utiliser est une faute.

Aux vieux maux de nouveaux remèdes

En sollicitant Mcfly et Carlito, Emmanuel Macron a décidé de s’adresser à un public jeune, ce même public qui n’est pas touché par les médias traditionnels que sont la presse écrite, les journaux télévisés et la radio. Il a choisi d’aller à la rencontre de la jeunesse en utilisant son canal de communication et en adaptant son message au format de ce canal. Le format « story » rend sa prise de parole moins pompeuse et lui donne une image plus jeune et plus cool. En s’adaptant aux codes de Youtube, il évite de paraître décalé donc d’être ridicule.

De plus, Mcfly et Carlito ne sont pas n’importe quels youtubeurs. Ils sont certes plébiscités, comme en témoignent les six millions de personnes qui sont abonnées à leur chaîne Youtube mais surtout, ils ne font que du divertissement. Ce choix de contenu les met à l’abri de polémiques qui auraient pu déteindre sur le président. On se souvient qu’on a reproché à Gabriel Attal, le porte parole du gouvernement, d’avoir participé à un live avec Emma CakeCup, une influenceuse dont la réputation a été ternie par des scandales.

Un format qui permet de raconter une histoire

Lancer un défi à Mcfly et Carlito est un choix d’une efficacité redoutable. Si Mcfly et Carlito avaient sorti une vidéo hors contexte à la demande du gouvernement pour faire passer des informations de santé publique, même s’ils avaient insisté sur le fait que c’est pour le bien du plus grand nombre, l’impact de cette vidéo aurait été moindre et elle serait passée inaperçue aux yeux et aux oreilles de ceux qui ne les connaissaient pas.

Les défis ont l’avantage de créer un effet d’attente chez les spectateurs et permettent de raconter une histoire. Les deux youtubeurs sont les héros de cette histoire et Emmanuel Macron joue le rôle du Grand Manitou comme le suggère l’image iconique de la vidéo où le défi est relevé.

L’objet de leur quête est d’entrer à l’Élysée rencontrer le président, pour cela, ils doivent surmonter un certain nombre d’épreuves : créer un contenu vidéo pour rappeler l’importance des gestes barrières et cette vidéo doit être suffisamment intéressante pour être vue par dix millions de personnes. Ce qui rend le défi génial c’est que l’épreuve qualifiante ne peut être effectuée par les héros seuls. Ils ont besoin d’alliés, ces alliés sont les spectateurs. Non seulement, nous faisons partie de l’histoire, mais notre participation rend possible le happy end. C’est la raison pour laquelle beaucoup ont suivi de près l’aventure en vérifiant souvent le nombre de vues.

Un mauvais calendrier ?

Beaucoup accusent Emmanuel Macron de se servir des gestes barrières comme prétexte pour s’adresser à un public plus jeune en vue de sa réélection. La stratégie de communication fait des gorges chaudes : les admirateurs et les détracteurs s’écharpent au détriment du message principal. Il n’est pas sûr que le public de Mcfly et Carlito soit plus attentif à ces fameux gestes salutaires, en revanche, ils ont parlé à un public qui dépasse largement leur communauté.

Peut-être a-t-il voulu en réalité influencer les élections régionales pour s’assurer qu’En Marche ait des résultats honorables ? Peut-être est-ce une manière de détourner l’attention de l’opinion publique de la question clivante de l’islamo-gauchisme ? Peut-être que son équipe de communication digitale n’avait tout simplement pas anticipé une telle réactivité de la part de Mcfly et Carlito dans l’élaboration de leur vidéo, peut-être s’attendaient-ils encore moins à ce que l’objectif soit atteint en seulement deux jours ? Je n’ai pas de réponse satisfaisante à cette question de calendrier.

A supposer que cette campagne de communication ait été pensée pour qu’Emmanuel Macron gagne en popularité en vue d’une réélection en 2022, pourquoi la faire maintenant ? N’aurait-il pas été plus stratégique de la faire plus tard afin que les retombées positives influencent directement le choix des électeurs ? Comme Victor Ferry le fait remarquer, le moment est mal choisi. En revanche, je ne crois pas que l’Élysée devrait repousser le moment de la réalisation de la vidéo-trophée pour compenser cette communication qui a eu lieu trop tôt. Faire attendre trop longtemps les spectateurs risque de les lasser étant donné la vitesse à laquelle un sujet d’actualité en remplace un autre, ou bien, après avoir beaucoup attendu, le degré d’exigence sera trop élevé (le risque de déception également) et la vidéo aura intérêt à être exceptionnelle alors que si elle sort au bout de deux semaines, le public sera plus tolérant.

Une pluie de critiques

Si on peut reconnaître à cette initiative l(avantage d’avoir beaucoup fait parler d’elle, elle n’est pas exempte de critiques. Certains reprochent à Emmanuel Macron de ternir l’image présidentielle. Il n’incarnerait pas le chef de l’État plein de gravité, se livrant à des loisirs nobles, fréquentant des personnes sérieuses et communicant de manière traditionnelle, sans extravagance. Le contraste avec Mcfly et Carlito, symboles du rire et de la légèreté, serait trop important : la figure présidentielle en pâtirait. Cette critique ne concerne pas seulement le président de la République, d’autres personnalités politiques ont pleinement conscience du fait que les réseaux sociaux ont leur revers et préfèrent ne pas prendre le risque de faire un faux pas, renonçant ainsi à des canaux d’influence très importants.

N’en déplaise à ceux qui critiquent, le monde change, de nouveaux canaux de communication apparaissent et mépriser la communication digitale est une erreur. Blâmer une communication pour la seule raison qu’elle est moderne c’est passer pour un rabat-joie et un réactionnaire qui s’oppose à toute forme de progrès et qui est rassuré par l’éternelle répétition du même, bref, tout le contraire des valeurs qu’essaie de véhiculer En Marche.

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